Brahim Guendouzi. Professeur d’économie : «Un recadrage des dépenses publiques est plus qu’indispensable»
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a décidé d’une série de mesures pour faire face à la crise économique et aux conséquences de la chute des prix du pétrole sur l’économie nationale : une loi de finances complémentaire dans l’immédiat, recouvrement des impôts, des droits de douane, des crédits octroyés aux investisseurs privés et la création de banques islamiques privées. Pensez-vous que ces décisions peuvent constituer une réponse idoine pour éviter l’accentuation des difficultés économiques du pays qui sont déjà énormes ?
A travers cet ensemble de mesures, dont certaines peuvent paraître inefficaces, il est question de parer au plus urgent. C’est l’aspect court terme qui a pris le dessus, car il s’agit en réalité d’une course contre la montre tant la situation économique et sociale du pays est fragile.
Une loi de finances complémentaire s’impose toutefois dès lors que la conjoncture économique aussi bien nationale qu’internationale a évolué défavorablement sur un double plan : la dimension prise par la crise sanitaire à cause du coronavirus et surtout le revirement spectaculaire du marché pétrolier cette semaine.
Un recadrage des dépenses publiques est plus qu’indispensable afin de préserver un tant soit peu un niveau de croissance économique, même si ce sera faible, afin d’échapper à la récession et pouvoir se projeter sur le moyen terme.
L’évolution du marché pétrolier dans les prochaines semaines va sans doute donner plus de visibilité à des mesures d’accompagnement efficaces pour pouvoir terminer l’année 2020 dans des conditions qui permettront de lancer de nouveaux chantiers à même d’amener des changements structurels à l’économie du pays, notamment lancer les jalons d’une économie diversifiée.
Les rapports de force entre les acteurs du marché pétrolier viennent de nous donner un avertissement sur le fait d’être dépendant d’une seule ressource, en l’occurrence les hydrocarbures.
– Le recours au financement non conventionnel, à la planche à billets et à l’endettement extérieur ; toutes ces mesures ont été écartées. On se demande où le gouvernement ira chercher l’argent pour remédier aux déficits budgétaires et financer la construction d’une économie dévastée par la gouvernance de ces deux dernières décades…
Il est clair que le financement non conventionnel ne pourra pas constituer dans les conditions actuelles une solution aux contraintes posées, du fait qu’indirectement il se répercutera sur le niveau des réserves de change, fortement en baisse, alors que l’on cherche justement à les préserver, car c’est une garantie essentielle par rapport aux partenaires économiques étrangers de l’Algérie.
S’agissant du recours à l’endettement extérieur, il est possible de trouver des financements auprès de sources multilatérales (institutions financières internationales) s’il faut financer des projets structurants pour l’économie nationale, d’autant plus qu’il pourrait y avoir des conditions favorables en termes de délais de remboursement et de taux d’intérêt, accompagnant habituellement les crédits multilatéraux.
Sinon, il y a en Algérie une épargne consistante susceptible d’être mobilisée, à condition d’apporter une réponse claire à une question de fond que se posent l’ensemble des Algériens : celle de la confiance vis-à-vis des pouvoirs publics ainsi que du système bancaire.
Il en est de même du système fiscal, dont il prévu une amélioration du rendement ainsi que l’introduction d’importants changements nécessaires afin de rehausser la fiscalité ordinaire à la place qu’elle doit occuper logiquement dans les recettes publiques.
Par contre, la détérioration du compte extérieur courant, suite à la chute drastique des cours du pétrole brut, risque d’entraîner un ajustement à la baisse du taux de change durant cette année.
La dépréciation de la monnaie nationale par rapport au dollar et à l’euro est susceptible d’amortir le choc par rapport à une diminution sensible des exportations tant en volume qu’en valeur, alors que pour les importations, il devient de plus en plus difficile de les compresser.
– Le Premier ministre a annoncé que le système des retraites est en quasi faillite, avec un cumul de déficit de 2500 milliards de dinars. Comment pourra-t-il continuer à assurer le versement des pensions de retraite, notamment avec la crise que traverse le pays ?
Il s’agit d’un casse-tête pour le gouvernement tant la question des pensions est sensible. Etant dans un système de retraites par répartition, les ajustements annuels entre les pensions servies aux retraités et les cotisions de la population active sont obtenus par le mécanisme de points.
Aussi, un actif cotise et accumule chaque année un certain nombre de points, dont le total sera converti en pension au moment de son départ à la retraite.
Aussi, est-il nécessaire de chercher des solutions durables et non se contenter des concours financiers qu’apporte chaque année le Trésor public.
Le développement de l’investissement et la création d’un grand nombre d’entreprises permettront des recrutements et donc avoir un nombre d’actifs aussi élevé que possible, qui verseront des cotisations susceptibles de renforcer la situation financière des caisses de Sécurité sociale.
Voilà un autre chantier de réformes économiques auquel devra s’atteler le gouvernement sur un horizon de moyen terme et apporter par là même des réponses satisfaisantes aux angoisses des retraités.